Texte et photographies publiés dans le n°10 de la revue Temple, 2022.
Fragments d’une future Encyclopédie Polichinelle
« Pulcinella doit être sous les
armes et gambader mort ou vivant. »
Maurice Sand
Maurice Sand
Absolue nécessité : Absolument nécessaire, Polichinelle l’est en tant que rare matière
organique capable de conduire, dans un seul geste ou regard, à la fois l’électricité de la
bouffonnerie et le courant aérien de la grâce. Son apparence comprise comme image d’une
unité primordiale retrouvée pourrait être le chiffre de beaucoup d’énigmes : « Regarde bien
mon masque : tu ne vois pas que je ne ris ni ne pleure jamais – ou plutôt que je maintiens les
deux choses si étroitement liées qu’il n’est plus possible de les discerner ? » (Giorgio
Agamben, Polichinelle ou Divertissement pour les jeunes gens en quatre scènes, 2018).
Bosse : « Trois livres et demie de chair en forme de mangue » (Pierre Senges, Fragments de
Lichtenberg). La bosse se développe au moment de la maturité sexuelle du Polichinelle et
devient vite très sensible. Elle constitue, avec la haute coiffe, le signe distinctif majeur de
l’espèce. Certains spécialistes qualifient la bosse d’« ornement » et même de « chorégraphie » (Pierre Senges, ibid.), tandis que d’autres insistent sur sa « gaucherie
suprême » (Agamben, op. cit.) Les deux idées ne sont pas contradictoires. De façon générale,
tous s’entendent sur le caractère animé et vivant de la bosse : « elle ouvre les bras »
(Senges), elle est « hilare » (Agamben). La bosse est un peut-être un mouvement de l’âme du
Polichinelle, rendu visible.
Farceur : Polichinelle tend naturellement à la farce et aux bêtises, pas toujours inoffensives :
« Il est vrai que Polichinelle est un farceur qui a plus d'une peccadille sur la conscience; peut-
être aura- t-il été obligé de s'expatrier à la suite de quelque frasque... » (Henri de Graffigny,
Polichinelle ermite. Comédie bouffe en un acte, 1923). De ce naturel découlent toutes sortes
de surnoms, tels que « nuisible de charme », « glandeur diabolique », « usine à bêtises », ou
encore, selon une source inédite « C’est, dit M. Magnin, une espèce de franca-tripe (farceur
de haute graisse...) » (Maurice Sand, Masques et bouffons : comédie italienne, 1860).
Farcissure (voir à : Gloutonnerie, Gloutonnade ; voir aussi : Macaronis et Gnocchis) : Sans
limites dans son goût du manger, « il se complait à bâfrer bestialement des platées de
macaronis dans un énorme vase de nuit » (Pierre-Louis Duchartre, La commedia dell’arte et
ses enfants, 1955). Il est significatif qu’on retrouve Polichinelle en Angleterre sous le nom
de JACK PUDDING et en Allemagne sous celui de HANSWURST (Jean Saucisse).
Pullulation (voir à : Famille ; voir aussi pour les questions de généalogie à Polichinellesse
ainsi qu’à Bébé Polichinelle ou Polichinou) : « Pulcinella se reproduit et pullule : il est
remarquablement prolifique. C’est moins un personnage singulier qu’une horde parasitaire » ou encore une « race envahissante » (Jean Starobinski, 1789, Les emblèmes de la raison,
1979).
Surhumanité : Parfois rapproché de la figure de l’ange, d’autres fois assimilé à un poulet ou
un poussin, Polichinelle échappe à l’humanité par le haut aussi bien que par le bas. Il incarne
une forme paradoxale d’idéal : « En fait de difformités, le Polichinelle doit être ce qu'est
Apollon en fait de perfections. » (Maurice Sand, op. cit.) ; « Vous le reconnoissez à son rire
fantastique, inextinguible comme celui des dieux. Il ne paroît pas encore ; mais il susurre, il
siffle, il bourdonne, il babille, il crie, il parle de cette voix qui n’est pas une voix d’homme, de
cet accent qui n’est pas pris dans les organes de l’homme, et qui annonce quelque chose de
supérieur à l’homme, Polichinelle, par exemple. » (Charles Nodier, “Polichinelle”, Contes de
la veillée, 1850).
Zboub (syn. hermaphr. : Zguègnénette) : Durant la saison des amours, les Polichinelles se
taquinent et se pourchassent sans cesse. L’accouplement peut comporter des acrobaties,
des coups de bâton et des épisodes de chant lyrique. Imprévisible, souvent joyeux et brutal,
parfois mélancolique, l’amour d’un Polichinelle met en jeu les mêmes qualités que son art de
la farce : « Un amore sensuale, leggiero, sboccato, spudorato, svergognato » (Benedetto
Croce Pulcinella, Il personnaggio del Napoletano in Commedia, 1899). Ceux qui ont pu les
observer de près disent qu’il y a dans les ébats des Polichinelles quelque chose comme une
image retrouvée du paradis, où la synthèse surnaturelle du sublime et du ridicule atteint son
acmé.

















Direction créative : Bureau Klamm
Photographe : Patricia Khan
Costumes originaux : Constance Tabourga, Pia Dary, Paul Kaplan, Lisa Morice
Stylisme : Samuel Bardaji
Assistante styliste : Clara Ziegler
Modèles : Anna Carraud, Jules Bisson, Jean-Charles Dumay, Boris Grzeszczak, Elise Dël Aného, Cécile Chatignoux, Thomas Kergot
Maquillage : Thomas Kergot
Texte : Gabrielle Smith
Remerciements très spéciaux à la Station - Gare des Mines pour son accueil

1. Boris Grzeszczak habillé par Paul Kaplan, chapeau Constance Tabourga.
2. Cécile Chatignoux habillée et chapeautée par Constance Tabourga.
3. Elise Dël Aného habillée par Paul Kaplan, chapeau archive du styliste.
4. Anna Carraud habillée par Pia Dary, chapeau Constance Tabourga.
5. Jules Bisson habillé et chapeauté par Lisa Morice.
6. Jean-Charles Dumay habillé et chapeauté par Constance Tabourga.
7. Thomas Kergot habillé par Pia Dary et chapeauté par Constance Tabourga.
Recherches iconographiques








